LES CONFLITS SOCIO-ENVIRONNEMENTAUX ET RISQUES POUR L’AVENIR DES COMMUNAUTÉS LOCALES DANS LE BASSIN DU CONGO

Introduction

Le bassin du Congo renferme, après l’Amazonie, la plus grande forêt fluviale au monde.  Elle s’étend sur deux millions de Km2 répartis principalement sur 6 pays de l’Afrique centrale, à savoir le Cameroun, la République Centrafricaine, la République du Congo, la République Démocratique du Congo, le Gabon et la Guinée équatoriale.  A ces pays, on pourrait ajouter l’Angola, le Burundi, le Rwanda, la Tanzanie et la Zambie.  On le voit, de l’immense forêt du Bassin du Congo dépend la vie ou la survie des centaines de millions d’hommes.  Riche en biodiversité, on y rencontre plusieurs espèces en faune et flore ; ses grands fleuves et rivières sont une réserve précieuse en eau douce et en ressources halieutiques.

La question majeure qui se pose aujourd’hui est celle de la sauvegarde de cette réserve stratégique pour l’humanité, ce poumon au cœur de l’Afrique, étant donné la pression démographique que connaissent nos pays et les besoins de plus en plus exigeants, pressants de différentes communautés qui y vivent, mais aussi des personnes étrangères qui viennent l’exploiter, sans conflits majeurs ou sans violence, et donc sans injustice.

En effet, qui dit démographie dit coexistence ou cohabitation de différentes populations dans un espace que nous aimerions voir pacifique à travers une répartition équitable de toutes les richesses du Bassin du Congo et cela grâce à une exploitation raisonnable de ses ressources naturelles.  On remarque cependant des conflits fonciers qui surgissent de plus en plus entre, d’une part, les populations qui partagent le même espace de vie, et, d’autre part, entre les populations locales et les exploitants des ressources naturelles.  L’exemple que nous vivons dans le Mai-Ndombe ou dans la circonscription du diocèse d’Inongo en RD Congo peut être, mutatis mutandis, appliqué à plusieurs pays du Bassin du Congo.

I. Exploitation forestière

Etant l’un des plus grands bassins d’approvisionnement le plus proche et le plus sollicité de nos capitales ou grandes villes urbaines, le Bassin du Congo connait des défis environnementaux énormes.

L’enquête effectuée auprès d’un échantillon de 400 ménages fait apparaître des revenus annuels médians de 450 dollars par ménage, dont les 2/3 sont apportés par l’agriculture (manioc, maïs, riz), le reste provenant principalement de la pêche et de l’élevage ainsi que de la chasse, de la cueillette et de la transformation des produits. Malheureusement, ce panorama paradisiaque montre, de plus en plus, des signes de déséquilibre de son écosystème constituant ainsi des risques pour l’avenir des communautés locales du Mai-Ndombe.

Un constat est plus qu’alarmant: le Bassin du Congo connaît un taux de déforestation toujours en croissance.  Entre 2000 et 2012, le Mai-Ndombe a perdu 2.695 km2 de forêts soit 269 500 ha, soit 2% de la superficie forestière totale, et 4% des forêts communautaires exondées, où l’essentiel de la déforestation et de la dégradation forestière se déroule.

1° Les moteurs de la déforestation et la dégradation des forêts

Cet usage irrationnel des ressources forestières est lié à la demande pressante des centres villes, voire des communautés locales.  Ainsi nous pouvons retenir 4 motifs principaux de déforestation et de dégradation  des forêts :

  • La coupe illégale/légale des bois d’œuvres: bien que la banque mondiale attribue à l’exploitation artisanale d’être le moteur de la déforestation, l’exploitation industrielle n’en est pas moins, avec ces avatars (débardage, parc à bois, piste d’évaluation, les camps des ouvriers qui attirent des nouveaux marchés…) à l’origine de la dégradation des  forêts, habitats naturels de la biodiversité.
  • L’agriculture itinérante sur brûlis : moteur principal de déforestation. Pour  la mission BioCFplus au Mai-Ndombe,  chaque famille « médiane » exploite 5 ha de        forêt, sachant que les savanes ne sont que marginalement cultivées. Sur ces 5 ha, chaque ménage cultive annuellement quelques 0,6 ha, avant de les abandonner à une jachère de 5 ans. Avec un taux de croissance démographique annuel de 3%, chaque année amène une population agricole supplémentaire de 6 500 ménages, qui devront chacun, pour stabiliser leur système de production agricole, prendre 5 ha à la forêt primaire (ou à la vieille forêt secondaire), soit 32 500 ha.
  • La carbonisation de bois: à cause de la faible desserte en énergie dans nos villes (ex : la ville province de Kinshasa), la demande en bois énergie et charbon de bois s’est accrue. La riposte envisagée par la stratégie cadre nationale REDD+ n’en est pas proportionnelle.  Rappelons que «  la sauvegarde de l’écosystème suppose un regard qui aille au-delà  de l’immédiat, car lorsqu’on cherche seulement un rendement économique rapide et facile, leur préservation n’intéresse réellement personne. Mais le coût des dommages occasionnés par négligence égoïste est beaucoup plus élevé que le bénéfice économique qui peut être obtenu » (Laudato Si, n° 36).
  • Le feu de brousse: cette pratique, constatée partout où il y a des savanes pendant la saison sèche, retarde la régénération et l’extension des forêts.

Hormis ces problèmes liés aux conséquences de la gestion irrationnelle des ressources naturelles, il conviendrait de constater un phénomène nouveau : la restriction des terres.

2° Accaparement des terres

Un  phénomène nouveau  qui menace la quiétude des communautés locales est l’occupation à grande échelles, par des porteurs de projets, des grands espaces pour multiples usages : l’élevage des gros bétails (ex : SOGENAC), l’agriculture extensive, surtout l’agroforesterie ;  l’acquisition des grandes et plusieurs concessions forestières soit pour l’exploitation des bois d’œuvre (ex : la SODEFOR), soit pour la conservation (ex : WWC-ERA). A ce phénomène, nous pouvons ajouter l’extension des réserves forestières pour la préservation de la faune (ICNN, WWF). Bien que l’Etat ait pris des mesures pour permettre aux communautés de préserver les forêts coutumières, ces dispositions restent inconnues des populations.

II. Conflits socio-environnementaux

a. Conflits liés à la répartition équitable des revenus de l’exploitation des ressources

Depuis la colonie, le Mai-Ndombe assiste impuissamment au pillage de ses ressources qui ont servi à la métropole entre autres pour la guerre mondiale (exploitation du caoutchouc)  et à la construction de ses buildings. Et cela, sans compensassions équitables pour les communautés locales ni même pour la province. Plus tard, avec la loi selon laquelle le sol et sous-sol appartenant à l’Etat, ce dernier signe des contrats et attribue des concessions.  C’est le début de l’exploitation à grande échelle sans consentement préalable des propriétaires terriens. Désormais les redevances coutumières dépendent de l’humeur de l’exploitant. Dans l’entretemps, les lois ont évolué et les opportunités internationales permettent aux communautés locales de revendiquer leurs droits.

Mais malheureusement, les négociations se déroulent à forces inégales. La capacitation de nos communautés en termes d’établissement des priorités, d’exécution et du suivi des clauses sociales des cahiers de charge demeure très faible.

Avec l’appui de la Société Civile nationale et la Commission Diocésaine Justice et Paix (CDJP/Inongo), un autre lendemain devenait possible. Un plaidoyer est déposé au Ministère de l’environnement et développement durable et celui-ci signe son arrêté créant un cadre juridique permettant aux communautés locales de négocier leurs droits. Et cela, pour l’ensemble du pays (arrêté ministériel N°023/CAB/MIN/ECN-T/25/JEB/10 du 7 juin 2010 fixant le modèle d’accord constituant la clause sociale du cahier des charges du contrat de concession forestière).

b. Les conflits liés au mode d’acquisition (conflits fonciers) et la mauvaise gouvernance

Hormis cette avancée juridique, pourtant révisable, la majeure partie des conflits, recensés dans des cours et tribunaux de la province est d’ordre foncier. Et pour la plus part, les concessions sont accordées à base de la cartographie satellitaire et non participative qui engage les communautés, grâce au CLIP (consentement, libre, informé, préalable). Mettant de côté ce principe sacrosaint pour l’acquisition des terres et le respect des droits des parties prenantes, des révoltes des communautés se sont multipliées, par exemple : la révolte des Basengele contre ERA (conservation project) à Ngongo/Inongo.

La faible législation régissant la cohabitation entre les éleveurs et les agriculteurs est une source permanente des conflits. Que dire des vols réguliers des vaches sur l’axe Kasaï/Kutu organisés et soutenus par les forces de l’ordre basées à Bandundu au Kwilu. Signalons que la gestion des espaces lacustres et/ou fluviaux  de pêche engendre souvent des conflits parfois violents à cause de l’affluence massive des étrangers organisant une pêche irresponsable, avec des méthodes non autorisée, avec conséquence la diminution des espèces halieutiques).

c. Conflits inter-ethniques et claniques avec recours à la violence

Par ailleurs, la restriction d’accès à la terre de la majorité des populations autour des grandes agglomérations et la démographique galopante donne naissance à deux phénomènes : l’émigration (le sud de Kutu dont les galeries forestières sont épuisées émigre vers le nord, l’est et l’ouest surtout là où l’évacuation des produits vivriers est plus facile) et l’ouverture de nouveaux marchés qui provoque l’insécurité alimentaire au niveau local, à cause de la faible production.  Ceci avait, par exemple, suscité récemment une révolte des habitants de Tolo contre les marchands venus d’Inongo.

En dehors de la discrimination ethnique, les Peuples autochtones Pygmées vivent comme un peuple sans terres, bien que premiers occupants des forêts. L’exemple des Pygmées de Booke et Ymenge chassés de leurs champs de développement par les Baoto/Bantu dans le secteur de Mpenzwa en dit long.  Et ceux-ci ont toujours promis une riposte armée.

Notons qu’entre tribus et clans, beaucoup des conflits ont causé des pertes en vie humaine, à des expulsions et à des destructions des biens ayant pour mobile, l’accès à la terre : à Yumbi, l’affrontement entre les Banunu-Bobangi (riverains) et le Batende (propriétaires terriens), Banunu-Bobangi et les Basengele (propriétaires terriens) a fait plusieurs morts.

d. Conflit transfrontalier : la guerre de l’eau

Un conflit transfrontalier est en gestation et qui, du reste, ne laissera pas  le Mai-Ndombe en marge en tant que l’une des provinces aux flux d’eau douce de la RD Congo, pays membre  du bassin du Congo : la gestion de l’eau du fleuve Congo.  Nous connaissons le projet voulu par les uns et  contesté par les autres, celui du transfert des eaux du fleuve Congo à partir de la rivière Oubangi jusqu’au lac Tchad ; ou le déplacement des peuples éleveurs du Soudan du Sud vers la partie Nord-Est de la RD Congo à la recherche des pâturages pour leurs bétails.  En effet, « s’agissant du bassin hydrographique du fleuve Congo, une merveilleuse et précieuse réserve en eaux douces et en biodiversité pour l’avenir de la planète, il se passe que l’expansion de ce bassin, qui s’étend et s’enchevêtre dans dix pays, entraine de nombreux écueils qui exigent que les différents bénéficiaires en partage des eaux de ce bassin arrivent à mutualiser leurs efforts pour faire face ensemble aux problèmes communs qui les frappent du fait de leur communauté des eaux ».[1]

 Conclusion : Risques pour l’avenir des Communautés locales du Mai-Ndombe

Aux termes de cette présentation, nous répertorions quelques risques graves qui compromettraient l’avenir des communautés locales de la province de Mai-Ndombe, notamment : la pauvreté anthropologique (lignorance des lois et règlementation sur la gestion de lenvironnement) ; l’accès à la terre ; la répartition équitable des revenus issus de la gestion des ressources naturelles (conflits inter-claniques, inter-ethniques, conflit entre la population et lEtat, entre la population et les multinationaux) ; l’accès à l’eau potable et l’enclavement géographique. Contre ces fléaux, il conviendrait de promouvoir une gouvernance locale (ONGS, Organisation de la Société Civile, les églises…) qui travaillerait pour une rationalisation des potentialités exploitables et qui assurerait la cohésion sociale afin de faciliter la construction des communautés de développement (development communities building), permettant de transformer des conflits interpersonnels, inter-ethniques, étatiques et communautaires en énergie positive, capable de garantir la sécurité des biens et des personnes. Quant à l’Eglise, elle doit constitutivement s’engager vers une évangélisation en profondeur et une nouvelle catéchèse pour que « toute la création aspire à voir la révélation du Fils de Dieu » (Pape François, Message pour le carême 2019).

X Donat BAFUIDINSONI MALOKO-MANA, SJ.

Evêque d’Inongo (RD Congo)

[1] Bokona Wipa Bondjali François, Pour un nouveau paradigme de gouvernance des eaux du bassin du bassin du Congo, thèse de doctorat, avril 2018, pp. 10-11. Il s’agit, notamment, des problèmes de pollution, du contrôle des mouvements transfrontaliers des déchets dangereux, de la conservation des ressources naturelles, de l’utilisation des cours d’eau internationale à des fins autres que la navigation.