Namibie/Botswana : Menace pétrolière sur le Delta de l’Okavango

Par François Misser

Le delta de l’Okavango, classé au Patrimoine mondial, est menacé par une société pétrolière canadienne qui va y commencer des forages en décembre.

Rien ne peut arrêter le fléau de l’or noir. Pendant des décennies, la Namibie et le Botswana ont figuré parmi les champions de la conservation en Afrique. Mais cet âge d’or pourrait se terminer. En effet, les deux gouvernements ont accordé des permis de prospection à la « junior » canadienne, ReconAfrica, couvrant une zone de 35 000 km2, plus vaste que la Belgique. Et la société, cotée en bourse de Toronto, a annoncé son intention d’entamer en décembre des forages pétroliers et gaziers dans des aires protégées qui alimentent en eau le delta de l’Okavango, sanctuaire unique de grands mammifères, inscrit au Patrimoine mondial de l’Humanité (voir ci-dessous).

Selon les géologues embauchés par ReconAfrica, la zone abriterait des réserves considérables dépassant les 100 milliards de barils, soit  l’équivalent du tiers de celles du Venezuela ou de l’Arabie Saoudite, qui sont les plus importantes de la planète.

Fracturation hydraulique

Une partie de ce pactole peut être exploité selon les technologies classiques mais le reste est contenu dans des dépôts de schiste, requérant le recours à la fracturation hydraulique, très controversée, désignée sous le terme de « fracking ». Cela consiste à injecter du sable, de l’eau et des produits chimiques à haute pression pour fracturer les roches et accéder ainsi aux poches de pétrole ou de gaz. Cela produit des eaux résiduelles parfois radioactives et souvent toxiques, qui peuvent contaminer les eaux souterraines et de surface, menaçant la santé de la faune, de la flore et des humains.

En effet, bien que le ministre namibien des Mines, Tom Alweendo, ait prétendu en septembre, au quotidien « The Namibian » que ReconAfrica ne recourrait qu’à des techniques conventionnelles, le PDG de la société, Scot Evans, a recruté un crack du fracking pour développer le projet. Evans n’est pas un pied tendre dans l’industrie. Il fut vice-président de la société texane de services à l’industrie pétrolière Halliburton, dont le patron fut l’ancien vice-Président américain Dick Cheney et qui s’est considérablement enrichie grâce à la guerre en Irak. En 2003, elle défraya la chronique en admettant que sa filiale KBR avait payé un pot de vin pour obtenir un régime fiscal favorable au Nigeria.

Dans des aires protégées

Les sites de forage se trouvent le long de la rivière Okavango, sur la frontière entre la Namibie et le Botswana, à l’intérieur de la Kavango-Zambezi Transfrontier Conservation Area (KAZA-TFCA) qui englobe, sur une superficie représentant l’équivalent de celle de la France, 36 aires protégées, dont trois parcs nationaux (Khaudum, Manghetti et Bwabwata).

Les concessions de ReconAfrica chevauchent plusieurs couloirs de migration d’animaux sauvages qui traversent ces parcs; ceux-ci, ensemble, constituent la plus grande aire de conservation transfrontalière au monde. Une marée noire menacerait la rivière Okavango et toute la faune et la flore jusqu’au delta. La zone est notamment le lieu de transhumance de la plus grande population d’éléphants du continent (environ 250 000) ainsi que des antilopes des sables.

Le dernier refuge des Bushmen compromis

À cause de ce projet, s’inquiètent en outre les anthropologues, les premiers habitants humains de la zone, désignés sous l’appellation de « Bushmen » ou « San », qui y vivent depuis 40 000 ans, risquent de perdre leur dernier refuge dans le Kalahari. Un forage est en effet prévu près du site archéologique inscrit au patrimoine de l’Unesco de Tsodilo Hills, au Botswana, qui abrite 4500 peintures rupestres.

Selon le ministère namibien de l’Environnement et du Tourisme, une étude d’impact environnemental concernant trois forages a été effectuée. Mais les communautés locales et la société civile ont été tenues à l’écart, affirment les critiques. La menace concerne aussi le secteur du tourisme. Le delta de l’Okavango est l’attraction touristique principale du Botswana. Au total, près d’un million de personnes pourraient être affectées par l’exploitation pétrolière dans un environnement aussi fragile.


Le delta de l’Okavango, trésor unique de biodiversité

Situé au nord du Botswana, le delta de l’Okavango, vaste de 18 000 km2, est le second plus grand delta intérieur de la planète après celui du Niger. Les eaux de ce fleuve sans embouchure maritime se déversent chaque année, au milieu de l’été austral, dans le désert du Kalahari, constituant un site unique de biodiversité. Pas moins de 24 espèces d’échassiers nichent dans les îles – alors souvent totalement submergées – parfois sur des figuiers aquatiques sous lesquels s’abritent crocodiles et hippopotames.

C’est l’habitat saisonnier de nombreuses espèces de mammifères, dont les « Big Five » (éléphant, buffle, lion, léopard et rhinocéros blanc ou noir) mais aussi des gnous, des koudous, des springboks, des zèbres, des hyènes, des lycaons, des phacochères et autres cynocéphales, outre 500 espèces d’oiseaux, dont l’aigle pêcheur, la grue royale et l’ibis sacré. Dans les eaux du delta nagent 85 espèces de poisson, dont un emblématique poisson-tigre carnivore, beaucoup plus gros que le piraña sud-américain et pouvant mesurer 1,5 mètre et peser 65 kilos.

Le delta est aussi le domicile de plusieurs populations humaines dont les San ou bushmen, les Hambukushu, les Dceriku et les Bugakhwe.